Lettre octobre 2023

Chères donatrices, chers donateurs,

Il me semble que le temps me glisse des mains, mais j’ai toujours ce sentiment depuis quelques années. Depuis que je me suis dit que je ne veux plus regarder en arrière, mais parfois je suis obligée, car les évènements les plus marquants de ma vie sont dans le passé.

Mais tout d’abord j’espère sincèrement que vous allez bien.

Donc revenons un peu en arrière tout exactement cinquante et un ans, c’est depuis ce temps que mon mari est moi sommes mariés. Ensuite la naissance de nos trois enfants et trois petits-enfants et entretemps la naissance de notre projet. Notre Centre l’Espoir pour lequel nous nous investissons depuis vingt-quatre ans.

Les jours se suivent mais ne se ressemblent pas. Je suis debout depuis cinq heures trente, en train d’aller voir le programme du jour a l’hospitalisation. Tel malade va mieux et doit aller en ophtalmologie, l’autre, au contraire ne pourra pas aller à son rendez-vous en neurologie, trop fatigué. Le chauffeur doit impérativement partir au plus tard à six heures, car les travaux en ville sont de telle sorte qu’il y a des embouteillages pendant des heures. Et les enfants aussi doivent partir à sept heures, les grands même plus tôt, car leur école privée est exigeante, il faut être à l’heure sinon ils sont exclus du cours. Ensuite je fais mon petit tour au village, les seniors dorment encore et c’est un endroit calme et paisible, sans stress ni agitations. Quel beau village. Je retourne à la maison, prendre mon petit déjeuner et à sept heures quarante-cinq je suis assise dans mon bureau comme tous les jours que Dieu fait. A mon premier « suivant » je me demande toujours qui va avoir besoin d’aide ce jour. Des mamans qui ont besoin de nous pour nourrir leurs familles, des papas qui pleurent parce qu’ils ne peuvent pas subvenir aux besoins de leurs familles, des enfants mourants à cause d’une crise de malaria. Une femme ou deux souffrant d’un cancer du sein ou autre, à qu’il faut dire avec compassion qu’elles peuvent guérir ou mourir. Des mamans qui sont abandonnées, car le papa de leurs enfants ne trouvant pas de travail est parti, tellement qu’il a honte. Des vielles mamans et papas souffrant de diabète ou d’hypertension, d’une maladie cardiaque ou d’un début d’Alzheimer. Des jeunes qui n’ont pas d’emploi et qui sont tombés dans la drogue ou l’alcool car plus aucun espoir à une vie meilleure.

Ma journée est remplie de chagrin, de soucis, de détresse, de peur et d’abandon. Et tous les jours je suis en larmes, plusieurs fois. En vingt-quatre ans de vie ici, parmi les vulnérables et les démunis qui sont devenus encore plus affaiblies. La pauvreté, au lieu de diminuer est devenu insupportable, l’enchérissement de la vie injuste et les familles n’ont plus assez de moyens pour se nourrir. A cause de cette immense pauvreté les indigents meurent, car aucun système de santé ne leur aide à se soigner s’ils ne peuvent pas payer. Les portes des hôpitaux leurs sont fermées s’ils n’ont pas les moyens financiers et la seule chose qui leur reste est l’indigénat et la mort. Mais le Centre Espoir porte bien son nom, car c’est ici qu’ils trouvent aide, gentillesse, accueille et guérison. Personne de nos 150 -200 personnes au quotidien ne part sans avoir reçu de l’aide. Et croyez-moi, je n’ai pas besoin d’une berceuse pour m’endormir le soir.

L’HISTOIRE DE JEREMIE
Jérémie est arrivé chez nous il y a seize ans, à l’âge d’un peu plus d’un an. Son père, un très jeune homme de dix-sept ans ne pouvait pas s’en sortir, la maman les avait abandonnés et lui ne savait quoi faire de ce bébé retardé mentale, voir Autiste. Au début il venait le voir, mais avec les semaines ses visites se sont estompées pour finalement s’arrêter. Jérémie a pu fréquenter des écoles spécialisées et à un certain moment on s’est dit qu’il devait aller dans un établissement gouvernemental construit pour « ses » enfants. Il y en a un à une heure et demi de route d’ici. Je suis allée le voir, ça nous a pris six heures pour y arriver, tellement les travaux indispensables des autoroutes, du métro, des grattes ciels, etc. sont importants. Abidjan doit être une des villes les plus modernes de ce continent. En arrivant dans cette maison je n’ai entendu que des cris, je n’ai vu que des horreurs, je n’ai senti que de la détresse et colère. Une prison, un asile psychiatrique, je ne sais pas, je n’ai pas de mots. Cent cinq enfants, pauvres créatures se battent ici pour la survie. Et à peine quarante employés non spécialisés doivent les affronter jour et nuit pour s’en occuper. Notre Jérémie ICI ? Jamais, il va mourir. Lui qui était entouré de tous nos enfants avec énormément d’amour, lui qui était notre enfant, notre frère, lui qui était heureux chez nous, se débarrasser de lui juste parce qu’il avait dix-sept ans et qu’il devenait adulte et un problème pour le gérer ? Notre Jérémie, non, jamais. L’école ou il était depuis six ans ne pouvait plus rien lui apprendre. Il comprend tout ce qu’on lui dit, il « parle » sa langue que nous comprenons, il fait partie de nous. Nous avons alors décidé de le confier à notre jardinier, un homme calme et bon, on lui a fait faire la même tenue de travail, et Jérémie qui aime tellement travailler est heureux et nous aussi. Son salaire sera un extra grand et bon repas à la fin du mois, on l’amènera nager, car il adore l’eau et il continuera d’être parmi nous, rien d’autre est envisageable. Jérémie, tu as été abandonné une fois, mais pas une deuxième.

Jeremy et Ousmane jardiniers 2023 09 2 002  Jeremie est heureux de pouvoir aider dans le jardin

 L’HISTOIRE DE SALY
Saly est arrivée chez nous il y a cinq ans. Enceinte et souffrant de crise d’épilepsie. Etant donné qu’elle est simple d’esprit un homme lui a fait croire qu’il l’aimait et sa famille ayant vu son ventre s’arrondir l’ont tout simplement rejeté et viré de la maison. Elle dormait sous une table au marché de nuit à Adjouffou, les hommes étaient gentils avec elle et lui donnaient cents francs. Elle faisait des crises d’épilepsie et tout le monde avait peur d’elle. Un jour on lui a montré le chemin qui mène chez nous. Nous l’avons accueilli, aimée, soignée et son petit garçon est né délivré par une césarienne, à cause de ses crises. Saly habite aujourd’hui à Ayobâ, pas parce qu’elle est âgée, non, parce que personne ne voulait d’elle. Elle est heureuse, bien soignée, elle nous aide, fait la lessive, aide à la cuisine, sa petite radio collée à son oreille et son fils va à la même école que les nôtres. Il est intelligent et va devenir un grand monsieur un jour, comme on dit ici.

Sally und Oumar 2023 09 Saly et Oumar, qui a le droit d'aller à l'école aussi

Tout le monde est le bienvenu chez nous, surtout ceux qui n’ont plus personne. J’ai lu dans un livre qui analysait le sens de notre vie et une phrase m’a marqué. « Avoir quelqu’un pour qui trembler » fait ce sens et cela nous le vivons ici tous les jours.

Chères donatrices, chers donateurs, grâce à vous nous avons scolarisé 850 enfants. 850 vies qui auront un avenir, qui trouveront du travail et qui pourront subvenir à leurs besoins. Quel bonheur.

Je vous remercie du fond de mon cœur. Que Dieu vous bénisse pour votre grande générosité.

Je vous souhaite le meilleur
Lotti Latrous

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