Lettre d'informations octobre 2022

Grand-Bassam, en octobre 2022

Chères donatrices, chers donateurs.

Je suis heureuse de pouvoir prendre le temps de vous écrire ces quelques lignes. Il est important pour moi de ne pas simplement laisser quelques lignes sur le papier, non, la lettre doit être des nouvelles de chez nous pour vous dire oh combien nous sommes heureux de vous avoir dans notre vie.

J’espère que vous allez bien. Je sais que vous avez terriblement souffert de la canicule de cet été. Et nous ici, on avait froid avec 27 degrés, si j’ose dire. On est dimanche et je suis dans notre logement à Bassam, de retour de mon petit tour auprès des enfants, des patients et les seniors. J’aime énormément les dimanches, car mon bureau social est fermé et j’ai enfin le temps de m’occuper des autres. J’ai tout le temps qu’il me faut pour aller voir mes patients, m’assoir au bord de leurs lits, « causer » avec eux, surtout les écouter et, encore plus important, les entendre pour connaitre leurs petits besoins ou leurs grands chagrins. On lit la Bible, on écoute de la musique douce, on prie – chacun a son importance, à chacun est accordé le temps qu’il faut pour qu’il soit en paix avec lui-même. Beaucoup sont chez nous depuis longtemps, en attendant la guérison ou en attendant la mort. On parle de tout, on a peur de rien, plus aucun sujet est tabou et souvent cela devient une discussion où ceux qui ont la force peuvent parler et donner leurs avis. De loin on entend les fidèles d’une église chanter et d’une petite mosquée tout près l’appel à la prière. J’ai l’impression que le temps s’arrête pendant un moment et que nos mondes s’unissent dans la paix et l’amour. Etant donné que je ne peux pas passer à côté d’un malade sans une petite caresse, je prends congé d’eux et j’ai la certitude qu’ils sont en paix.

Je me dirige vers l’orphelinat. Les filles se font de belles tresses, les grands garçons jouent au foot, les plus petits jouent au UNO ou à un autre jeu de société. Il y règne une magnifique ambiance de paix et de bonheur. Tous ces enfants qui ont eu une vie de martyre avant d’arriver chez nous et qui sont, au bout de quelques mois, comme ressuscités, aiment la vie comme n’importe quel autre enfant. C’est vrai que nous n’avons pas les mêmes accommodations que nos enfants en Europe, on n’a pas le même luxe, pas le même confort. Mais quand je les observe, quand je les regarde, mon cœur est dans la joie. Lorsque j’invite les filles à venir faire la sieste chez moi et qu’elles se serrent l’une contre l’autre à ou moins quatre sur le lit, les autres apportent des petits matelas et la joie est énorme. Le plaisir d’être « ensemble » prend toute son importance, car ces enfants, souvent jetés et abandonnés, ont un besoin énorme de tendresse. Et que ça bavarde, et que ça rigole, accompagné naturellement de musique, et je me demande si vraiment elles vont dormir un peu. Oui, au bout d’une heure tout le monde dort, sauf Maman Lotti qui doit se lever pour aller faire la gymnastique avec les seniors. J’essaye de me faufiler tout doucement pour ne pas leur marcher dessus, ni faire du bruit, et je les regarde, « mes filles », leurs doux sommeil, heureuse serrées les unes contre les autres. Nos enfants sont incapables de dormir seule dans une chambre, ils seraient trop malheureux. Parfois, je leur dis que chez nous, en Europe, les enfants ont leur propre chambre pour eux tout seuls. Ils ne peuvent pas comprendre et plaignent ces enfants de leur âge parce qu'ils sont seuls pendant la nuit. Pour eux le plus important est l’amour, être ensemble, pour ne plus jamais être seule.

2022 09 Foto Mädchen

2022 09 Foto Jungs

 

Donc, une fois sortie de la chambre j’aide les auxiliaires de vie de préparer la place du village avec des chaises en un cercle et de chercher nos mamans et nos papas. Eux aussi sont heureux et reconnaissants de ne plus devoir vivre seuls, quelque part dans une cabane en tôle, si du moins ils avaient un toit sur la tête, mais ensemble dans un si beau village. ! Et après quelques bons inspirations et expirations nous faisons des bons étirements pendant trois quart-heures. Ça fait du bien. Et souvent on termine avec une petite compétition de pétanque, leur jeux favoris, ou des jeux de fléchettes, tout fait très plaisir. Quelques enfants de l’orphelinat se joignent à nous et c’est la joie et les plaisanteries. De temps à autre nous organisons une petite fête et Maman Alice, dans sa chaise roulante, hémiplégique du côté gauche, a le droit à son verre de vin rouge, Monsieur Gilbert, qui souffre d’un parkinson, a sa petite bière, les autres aiment boire un Coca ou un Orangina et le bonheur est à son comble avec un bon repas et de la musique. Et tous ils essayent aussi bien qu’ils sont capables de faire quelques pas de danse ou de taper dans leurs mains en chantant pour ceux qui sont paralysé. J’aime ces dimanches. Papa Aziz, comme il est appelé ici, est autour et prend soins de l’entretient, de ses plantes et du jardin potager, le monde est en ordre. Ici on oublie les guerres, les catastrophes, les corruptions, ici nous sommes heureux de cette vie simple mais tellement riche en émotions et en amour.

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J'aimerais encore vous dire pourquoi je n'ai pas autant de temps à consacrer aux enfants, aux patients et aux seniors pendant la semaine. La raison en est mon bureau social, où je passe des heures assises derrière mon pupitre. Nous sommes en plaine scolarisation. Plus de sept cent enfants ont le droit d’aller à l’école grâce à notre aide. Mais alors, quel travail. Le dispensaire est devenu trop petit pour accueillir les mamans qui nous amènent les documents demandés et les notes de leurs enfants. Et nos cas soucieux d’habitude, les mamans qui viennent chercher leur aide au loyer et leur allocation pour manger. Elles sont des centaines. Et nos patients qui viennent se faire soigner, on ne sait plus où mettre tout ce petit monde. Je vois quotidiennement pendant cette période d’août et septembre jusqu’à deux cents personnes par jour dans mon bureau. Et quand je rentre le soir, je suis tellement épuisée que je ne peux rien faire d’autre que de m’allonger une demi-heure avant d’aller voir les enfants, les patients et les seniors. Je dis toujours : « je suis tellement fatiguée, que je ne sais même plus comment je m’appelle ». Et lorsque je me couche après une telle journée de travail, qui dure de six heures du matin à sept heures du soir – parfois jusqu'à neuf heures du soir si je dois encore faire de la comptabilité -, je n’ai pas de problèmes pour m’endormir.

Cela fait vingt-trois ans que j'ai la chance de faire ce travail, et il me comble toujours jour après jour. Je suis reconnaissante de pouvoir le faire, d'avoir la force de le faire, même après l'âge « normal » de la retraite. Je vous suis éternellement reconnaissante de votre aide, car sans votre soutien nous n’aurons pas pu donner tant de joie, redonner tant de dignité, nourrir, scolariser, soigner des milliers d’enfants, des milliers de mamans et papas.

Je vous remercie, mais aussi mon mari Aziz, que tout le monde ici appelle Papa Aziz, ma collègue Marie Odile, qui est à nos côtés depuis tant d’années, et notre personnel pour leur aide. Beaucoup de nos collaborateurs pourraient aussi prendre une retraite bien méritée après avoir travaillé parfois plus de vingt ans avec nous, mais ils restent ici et continuent à nous aider. Je remercie également tous les bénévoles qui passent et repassent, les membres du conseil de notre fondation et Valérie Keller, notre responsable commerciale. Merci à vous tous de près et de loin de nous aider à construire un monde meilleur. Même s’il est petit, même si ce n’est qu’une petite île dans l’océan, cette île est une île de paix et de joie.

Recevez, chères donatrices, chers donateurs, mes plus chaleureux salutations et mes plus grands remerciements. Que Dieu vous bénisse abondamment.

Lotti Latrous

Et pour finir, une nouvelle très joyeuse : Aziz et moi sommes devenus grands-parents pour la troisième fois. Elsie, la fille de notre Sarah et de son partenaire Rik, est venue au monde le Vendredi saint de cette année. Nous sommes « aux anges ».

Elsie et ses grands parents